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PORNOGRAPHIE JUVÉNILE Victimes plus jeunes et images plus déviantes

Vendredi, 13 février 2015

Marie-Claude Malboeuf, La Presse
Des enfants de plus en plus jeunes, soumis à des actes sexuels de plus en plus graves… Avec le temps, les goûts des consommateurs de pornographie juvénile se corsent et leurs connaissances techniques s’améliorent, ce qui les pousse à collectionner des images de plus en plus choquantes. Tel est le profil « le plus courant » des Québécois adeptes de pornographie juvénile, selon une nouvelle étude présentée hier au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal. Après avoir travaillé 12 ans comme analyste à la section cybersurveillance de la Sûreté du Québec (SQ), le professeur adjoint Francis Fortin a décortiqué des contenus d’ordinaire inaccessibles : les disques durs de 40 consommateurs déjà condamnés. Ces disques contenaient plus de 61 000 images, d’abord extraites de 7 millions de fichiers, puis classées. Les photos et vidéos montraient très souvent des enfants d’environ 7 ans et avaient surtout été téléchargées en semaine. « À ma connaissance, aucune étude n’a pu avoir accès à des contenus comparables ni réunir un si grand échantillon », a souligné en entrevue M. Fortin, qui a dû respecter plusieurs balises pour obtenir le feu vert de la police et de l’UdeM. « D’habitude, le seul fait d’accéder à ces contenus est un crime, même pour les chercheurs. » — Francis Fortin, professeur adjoint à l’Université de Montréal Son but : découvrir ce que les consommateurs de pornographie juvénile collectionnent au fil du temps et comment ils parviennent à obtenir les contenus illégaux. Il cherche ainsi à mieux comprendre comment les traiter et « rendre plus systématique la recherche d’éventuels complices et la découverte de nouvelles victimes », écrit-il dans sa thèse de doctorat, publiée l’été dernier. Les images qu’il a classées montraient très majoritairement des filles, surtout en âge de fréquenter l’école primaire. Mais pas seulement. « La quasi-totalité des sujets à l’étude ont continué de télécharger des images de pornographie adulte », souligne le chercheur. L’analyse de leur collection – présentée sous forme de graphiques – révèle toutefois que leurs préférences évoluent la plupart du temps vers le pire. « Le profil le plus important était celui qui avait, au cours des mois, accumulé des images de personnes de plus en plus jeunes dans un contexte de plus en plus explicite », résume M. Fortin. DES ÉCOLES DU CRIME Les goûts des consommateurs de pornographie juvénile se corsent-ils parce qu’ils s’habituent aux images moins déviantes, au point de les juger moins intéressantes ? Ou ciblent-ils mieux ce qu’ils cherchent au fur et à mesure que leur expertise et leurs connaissances du milieu s’améliorent ? Difficile de trancher. Chose certaine, si on donnait aux thérapeutes des « graphiques évolutifs » des collections, cela les aiderait à mieux établir leur diagnostic et leur plan de traitement, estime M. Fortin. Il serait alors impossible pour les prévenus en thérapie de cacher la gravité de leur consommation. « Les individus de notre recherche ont délibérément choisi de conserver ces images sans avoir en tête le jugement d’autrui. En entrevue clinique ou dans les questionnaires, ils peuvent vouloir se présenter sous un meilleur jour. » Impossible aussi de cacher leur participation dans les forums et les groupes virtuels, qui sont souvent pour eux de véritables « écoles du crime ». « Le collectionneur “social” aurait développé des connaissances pour mieux déjouer les policiers. » — Francis Fortin, professeur adjoint à l’Université de Montréal À force d’être en contact avec la culture pédophile, le collectionneur social en vient même à rationaliser son crime. « Avant, le gars seul dans son sous-sol, qui était attiré par les jeunes, se disait qu’il n’avait pas d’allure. Maintenant, avec l’internet, il se déculpabilise. Il se dit : “OK, il y en a d’autres comme moi, et même des bien pires.” » Sans parler des sites de soutien qui clament que l’attirance pour les enfants n’est pas nocive et que ses adeptes font de l’ « éducation sexuelle ». « C’est protégé par la liberté d’expression, mais ça crée des distorsions qui pourraient diminuer l’effet d’une thérapie visant justement à changer les cognitions des patients », affirme M. Fortin. MEILLEURE VIGIE Autre espoir du chercheur : que l’analyse plus systématique des disques durs permette de découvrir de nouveaux lieux d’échanges pédophiles (en analysant les séances de clavardage des gens arrêtés) et de nouveaux suspects. « Les policiers seraient en mesure d’adapter leur vigie » et de se montrer plus proactifs, « plutôt que d’en rester au modèle réactif, qui ne fait que réagir aux plaintes comme c’est le cas dans plusieurs unités du cybercrime », écrit-il dans sa thèse. Chaque année, la SQ arrête quelque 80 consommateurs de pornographie juvénile, précise l’ex-analyste en entrevue. « Le problème pour les policiers, c’est le volume. Il y a juste 24 heures dans une journée, et juste avec les plaintes qu’ils reçoivent – au sujet du monsieur qui veut rencontrer des petites filles sur l’internet ou du voisin bizarre –, ils ont beaucoup de travail. » L’ÉTUDE EN CHIFFRES 7 ans Âge des enfants apparaissant le plus fréquemment sur les images analysées. 10 ans Âge moyen des enfants sur les images. Aggravation avec le temps Pour 52 % des sujets, les images téléchargées montraient des enfants de plus en plus jeunes, avec le temps. Pour 50 % les actes étaient de plus en plus graves. Pour 37,5 %, tout s’aggravait : âge et actes. Pour 22,5 %, tout s’atténuait : âge et actes. Proportion des sujets possédant au moins une image Sadisme et torture : 70 % Urophilie-scatophilie : 55 % Fétichisme : 17,5 % Bestialité : 10 % Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web.